Un Topo sur la retraite
pour un groupe de prêtres âgés de 70 à 80 ans, recommandé par Gabriel BERTHE.
Il concerne tout un chacun ...
par Caroline Dry
Psychologue Clinicienne
Hôpital Bichat Claude Bernard - Paris
Psychothérapeute – Hauts de Seine
INTRODUCTION :
J’aimais
bien ce que racontait, avec son bon sourire et son humour très fin, un prêtre décédé maintenant
et qui avait exercé de grandes responsabilités, notamment comme supérieur du
Séminaire de ce qui était alors toute la région parisienne, avant sa
restructuration en 8 diocèses. A la retraite depuis quelques années, il
rencontre un jour un jeune confrère qui tout heureux de le voir, lui dit :
« Ah, Père ! Je vous ai connu quand vous étiez quelqu’un ! »
Je vous propose de prendre quelques minutes de
silence pour laisser résonner en nous cette parole….entendre comment elle
réagit en nous……
I.
La
retraite, est avant tout un passage,
La retraite est ce moment de la vie ou la société
civile ou religieuse nous signifie officiellement que nous sommes trop âgés
pour exercer les responsabilités qu’elle
nous avait confiées jusqu’alors. C’est le temps où nous sommes officiellement
invités à nous retirer….à nous mettre en retrait….Un retrait parfois attendu ( sans pour autant toujours
savoir ce qui est attendu.) un retrait pas toujours choisi….Nous sommes
déchargés, on nous retire la charge.
Nous la remettons….mais peut-être à contrecœur. Souvent c’est plutôt
ambivalent : la retraite provoque un soulagement d’une part…et un
sentiment de dépossession, donc d’injustice, de l’autre ! Même si ça tend à évoluer, la retraite est
aussi par rapport à nos représentations sociales une dernière ligne droite. Bref,
ce changement, lorsqu’il survient, est connu depuis longtemps, attendu quelque
fois, mais pas toujours anticipé, et en tous les cas pas toujours d’une manière
positive. Une chose est certaine :
c’est que la retraite s’inscrit dans le temps, à une date bien précise, qui
vient faire rupture, qui vient rendre effectif tout un ensemble de pertes, et pas
des moindres. J'en cite quelques unes:
A) Le passage à la retraite entraîne d emblée une
perte des responsabilités importantes. Jusqu’ici, on vous a confié des responsabilités,
souvent importantes. Elles étaient lourdes, parfois trop, mais à travers elles
vous avez existé, vous vous êtes senti utiles, vous pouviez servir, donner,
construire. Lorsque la retraite arrive, et que je suis mis en retrait, je peux avoir l’impression d’être « mis
sur la touche ». Il n’y a plus de pouvoir a exercer, plus de position à
défendre, plus de fonction essentielle à accomplir. Autant de rôles qui
donnaient sens à ma vie, valeur à mes actes, couleurs et reliefs à mon
identité, richesse à ma personnalité. Ce passé, cette histoire est
structurante…En quittant, en perdant le cadre qui m’a permis de le vivre, je
peux avoir l’impression de tout perdre.
B)
En même temps que la
responsabilité, je perds l’autorité
qui était liée à ces responsabilités. Plus de responsabilité, plus d’autorité,
puisque l’autorité ne vient pas de moi : c’est l’outil inhérent à la
responsabilité, et qui me permet de l’exercer. Je n’ai plus légitimité pour
exercer l’autorité en dehors du cadre qui la fondait jusqu'ici….Ma parole n’a
plus le même poids, elle n’agit plus de la même façon…on ne l’entend plus comme
avant. Elle n’a plus la même valeur.
C)
Peu à peu, laissant des
fonctions, je vais perdre toute une
partie de mon réseau relationnel : J’avais un agenda rempli, des
réunions le soir, j’étais invité, il se pouvait même que j’ai parfois pu
craindre d écouter les messages de mon répondeur, tellement il y en avait. A
chaque Noël il me fallait des jours pour répondre à tous les vœux, etc…..et
voilà que peu à peu, je suis moins sollicité, moins contacté : je peux
éprouver un sentiment d’isolement, de solitude et avoir l’impression que les
gens m’oublient.
D)
Et je réalise que tout une partie
de ce qui faisait ma vie, de ce qui l’animait, la rendait vivante, n’était pas
seulement liée à moi, à ce qui je suis, à qui je suis, mais à la fonction que
j’exerçais, au service que je rendais…..En étant retiré de la responsabilité, je perds le statut qui allait avec la
fonction, je perds une certaine reconnaissance, parfois
importante ! Alors, je peux avoir
l’impression qu’en perdant mon statut, je n’existe plus.
Nous avons nos représentations,
qui font que nous n’écoutons pas de la même manière, nous n’accordons pas le
même crédit selon la fonction de la personne..... Mais tout aussi bien nous
avons nos propres représentations de ce que nous devrions être.De ce fait, lorsque
je ressens cela, cette solitude, ce besoin de reconnaissance, cette amertume,
peut-être cette colère parfois… je peux éprouver une certaine honte et
culpabilité…par rapport à l’image que je me fais de moi-même, ou de ce que je
devrais être à mes yeux (mon intelligence, ma spiritualité, mon
expérience et mon cœur de prêtre peuvent me dire: " tu ne devrais pas
avoir besoin de çà puisque tu te voulais serviteur!!!...") ,
E)
En plus de toutes ces pertes
énoncées, il y a celle, qui court depuis que l’horloge de notre vie s’est mise
en route : la réalité du vieillissement du corps, son affaiblissement, la
perte de la jeunesse et l’approche de la mort. La retraite effective,
signifiée officiellement, nous ramène à la limite du temps qui court, à notre impuissance
à l’arrêter, et nous renvoie à la question de la finitude et de la mort,
question qui se repose de manière
nouvelle et plus présente, nous laissant avec moins de possibilités de fuite.
Et il y a pour nous chrétiens, avec la
mort, cette question du doute qui peut venir nous habiter: "est-ce que
c’est bien vrai tout cela" ? Et moi en tant que prêtre qui ai donné ma vie
au nom de ma foi, est-ce que j’y crois?…Et est-ce que d’accueillir en moi cette
question ne va pas m’entrainer dans un abime vertigineux, une angoisse sans
fond? Et sans aller jusque là, ça
pourrait aussi être, en fonction de mes représentations de prêtre, comme je le
disais précédemment, est-ce qu'en tant que prêtre j’ai le droit d’avoir peur de
la mort ? Et comment ai-je oui ou non, le droit de l’exprimer ?
Les quelques points évoqués disent la perte
d’autant de repères auxquels nous étions habitués, qui étaient constitutifs de
notre vie, de notre environnement, de notre rapport aux autres et à
nous-mêmes….Autant de repères et de points d’ancrage de nos vies qui se
retrouvaient jusqu’à la retraite, balisés, dans un certain équilibre, à défaut
parfois d’équilibre certain !
II. Le passage à la retraite est
aussi un temps de remaniement de notre identité.
C’est
l’occasion d’un ébranlement des repères, de remises en questions, voire d’une
remise en chantier, car nous n’avons
jamais fini d’évoluer….Nous sommes des êtres vivants, inscrits dans une
dynamique de vie et de croissance.
A)
Comme à toutes les grandes étapes
de la vie, la retraite peut venir
résonner sur ce que nous sommes, sur notre histoire et venir révéler, mettre à
nu et en questions nos domaines de fragilités. Non pas tant parce que la
retraite fragilise, non pas tant parce que l’âge fragilise – même si c’est le
cas - mais parce qu’en raison du bouleversement, des changements que cela
représente dans une vie, nos défenses habituelles, celles qui nous servent à
nous adapter à notre environnement connu ne suffisent pas, ne suffisent plus.
Et que nous nous retrouvons ramenés à la structure même de notre être, de notre
identité, avec ses domaines de fragilités existants. Ceux que jusque là, nous
avions réussi bien heureusement, consciemment ou non à aménager, à protéger, à
stabiliser….
Selon mon histoire, les
évènements de ma vie, certains chocs, certains manques, certaines ruptures,
certains traumatismes….il a pu y avoir dans la construction de mon identité,
des blessures, voir même des cassures….Certaines se sont cicatrisées, certaines
ont été intégrées et assumées…d’autres, j’ai pu ne pas en avoir conscience, ou
ne pas avoir conscience de leur impact, de leur importance….et elles sont en
moi, comme un empêchement à l’unité de mon être (et sont protégés par du déni,
du clivage, de la projection….). Ces réactions, sont des défenses qui a un
moment donné m’ont été une aide. Mais
lors des nouvelles étapes de ma vie, avec les changements et bouleversements
que cela suppose, mes mécanismes de défense peuvent ne plus être efficaces et
devenir pour moi source d’un handicap.
Je ne comprends plus alors pourquoi je suis dans telle ou telle
situation ou pourquoi, alors que jusque là « ça passait », « ça
ne passe plus ! »
L’identité est une notion complexe dont la
définition diffère selon les domaines où elle est appliquée. Mais on peut dire
que l’identité correspond à « la
connaissance que l’on a de sa propre existence et de son projet dans le
monde ». La permanence de notre
identité se retrouve dans la capacité à rester soi-même lorsque le temps qui
passe nous change. L’identité se construit dynamiquement et évolue tout au long
de la vie d’un sujet. Certains parlent
de périodes charnières, délicates à surmonter, dans lesquelles l’identité est
mise à mal, en tant que crises d’identité (l’adolescence, la quarantaine,) …La
retraite et vieillesse en font partie. Chacun, confronté au même processus du
vieillissement, œuvre avec ses propres ressources et modalités défensives pour
préserver son identité. Et l’enjeu, de notre naissance à notre mort est bien
l’unification de cette identité, l’unification de notre être….Donc, cette
nouvelle situation de vie va demander un réaménagement profond. Il va m'appeler
à porter un regard sur qui je suis et sur ces zones de moi-même que j’ai
spontanément tendance à éviter lorsque elles sont des lieux de blessures et de
souffrance, protégés par des mécanismes de défense. Lieux dont pourtant je suis
sans cesse réinvité à prendre soin… Tout spécialement à ce nouveau passage
important de ma vie , j’ai la possibilité de parcourir ce chemin de libération,
de maturation, de croissance….. Comme psychologue, il me semble que ce
réaménagement de l’identité est toujours une chance, car invitation à devenir
de plus en plus nous-mêmes, à réaliser de plus en plus pleinement nos
ressources d’humanité, à mettre en œuvre de plus en plus pleinement notre
liberté. Et cela, c’est toujours donné aujourd’hui !
En fait, ici et maintenant, c’est toujours un don,
et c’est là, et là seul probablement que je suis attendu - par Dieu - ….En
psychologie on parle de principe de réalité. Cet « ici et maintenant »,
qui me limite, mais en même temps, dont l’acceptation rend pleinement libre, me fait pleinement
mature, adulte, capable d’assumer ma vie. C'est ce consentement au réel qui me
fait expérimenter que c’est sur ici et maintenant – seul- que j’ai prise sur ma
vie.
B) Bien sûr, ce sentiment de vulnérabilité,
rencontré à toute nouvelle étape de vie, va être majoré à celle ci,
par les éléments inhérents au vieillissement.
Une capacité d’adaptation moins rapide et une
diminution des aptitudes physiques qui peuvent survenir: une baisse de la
vue, de l’ouïe, ….une baisse de la force physique. Parfois des problèmes de
santé qui viennent peser. Parfois l’entrée dans une certaine dépendance. Mais le vieillissement n’altère pas, comme on
le croit trop souvent les capacités intellectuelles ! C’est la rapidité
d’exécution qui change.
Donc nous le comprenons, à l’occasion de la
retraite, le remaniement de notre identité met en route un processus psychique
qui fragilise, qui rend vulnérable. Tous ces mouvements intérieurs qui m’habitent,
anxiété, angoisse, peuvent alimenter,
contribuer au sentiment, d’avoir tout perdu,
de ne plus « être »…
« Je ne suis plus rien »….I
lls peuvent aussi nous entraîner parfois, souvent sans
bien en avoir conscience, à des comportements qui vont avoir pour fonction de
nous calmer, de nous rassurer, de nous redonner un sentiment de force… Et on
peut se retrouver en difficulté pris dans des comportements qui pouvaient être
présents avant ,mais qui se trouvent alors renforcés et devenir des formes
de dépendances ( jeux, internet, achats compulsifs, comportements obsessionnels
– sexuels -, des fixations) et dépendances à des produits, notamment l’alcool,
produit licite mais hautement addictogène et psychotrope puissants :quatre
médicaments en un : antalgique, somnifère, anxiolytique , euphorisant… (mais
il faut savoir qu’il déprime très vite). Même gênants ou dangereux pour notre
santé, ces « habitudes » peuvent êtres positives si elles deviennent
une alerte, pour nous ou autour de nous, et peuvent devenir occasion de parler,
voire de prise en charge médicale ou psychologique.
III. Cette nouvelle étape vient questionner
le sens de ma vie et ce qui la fonde.
Je ne peux plus m’appuyer sur les signes
extérieurs, sur mon autorité, sur le paraître….. Je suis dépouillé, dénudé en quelque sorte,
et renvoyé à moi-même, à mes essentiels…..à mon être – seul - .
A.
Je
suis ramené à la Source.
Ca vient me remettre face à la vérité de mon être
et de mes choix, et surtout, de ce (Celui) qui les a fondés. Et ce sont ces fondements auxquels je vais être ramené, mais
pour remonter à la Source. C’est bien à
la source de mon désir profond, que je suis ramené pour retrouver une certaine
cohérence, une certaine paix avec moi-même, une certaine unification. C’est
peut-être le moment par exemple où je vais retrouver et me laisser ré-habiter,
par une ou des Paroles qui ont été pour moi, tout au long de mon histoire, de
mes engagements, des Paroles de Vie : La manière particulière, unique,
dont le Seigneur n’a cessé de me parler et de m’appeler.
Cela peut m’inviter, parce que du chemin a été fait
- un riche chemin -, à des réajustements, à des ré harmonisations. (Ca peut-être l’occasion de découvrir à quel
point je m’étais attaché aux responsabilités et aux fonctions
exercées….attachement qui a pu me faire oublier qu’elles m’étaient confiées
pour un temps, ne m’appartenaient pas, et encore moins me représentent tout
entier….Cela peut être le temps : de regretter tout ce que je n’ai pas fait,
pas réalisé. Cela peut être la nostalgie
de qui j’étais (ou de ce que je faisais ? peut-être ai-je confondu
« être » curé ou « exercer le service » de curé ?)…Oui,
je suis ramené à la source….la source, c’est ce qui donne la vie !
B.
Je
suis invité à relire ma vie (et rendre grâce) pour tout ce qui a été reçu, donné, tout ce qui a été
réalisé, tout ce à quoi j’ai participé, toutes les expériences vécues,
recueillies…..Car, dans ce temps de changement et de déstabilisation, c’est
dans cette histoire de vie, la mienne, que je vais retrouver mes points
d’appui, de permanence, de stabilité dont j’ai besoin et qui sont en moi ! Relire est un vrai travail….que
nous invitons souvent ceux que nous rencontrons et accompagnons à faire….mais
que nous ne trouvons pas toujours le temps de faire nous mêmes… Il est
intéressant à cet égard de remarquer que la retraite « à laquelle je vais
être mis » est le même mot que celui que nous utilisons dans la vie
spirituelle pour ce temps où nous « choisissons » de nous retirer
pour nous rendre davantage disponibles à la présence de Dieu dans nos vies….
Cela ne nous redit-il pas toute la possibilité,
l’opportunité, la chance que cela peut-être pour chacun de faire d’une retraite
subie, un temps choisi parce que invités à le vivre davantage dans la présence
à Dieu qui est depuis toujours présent à nous ? Si je regarde en arrière, ce n’est pas pour
ressasser, pour regretter, pour me laisser emprisonner dans la prison de mes
rêves ou de mes regrets…Non, c’est pour y voir la trace de cette fidélité ancienne
et toujours neuve de Dieu. Nous le savons, des épreuves, aussi rudes qu’elles
soient, peuvent être riches de sens quand elles sont relues à la lumière de la
Parole de Dieu. Ces acquis dans ma vie, toutes ces mises en œuvre, toutes ces
réalisations, toutes les relations vécues, forment un trésor d’expériences qui
me constituent, qui sont en moi un capital de savoirs et de compétences qui
sont part de ce que je suis….Dans l’action de grâce, le passé est tout entier
« gardé », mais au sens ou « Marie gardait tout cela en son
cœur ».
C.
C’est
le temps d’une plus grande liberté intérieure:
entrer dans l’intériorité permet d’accepter de vivre sur un mode de moindre
intensité extérieure, moins dans le
faire et davantage dans l’être.
D.
La liberté intérieure ne renvoie
pas à un repli sur soi. Elle n’est pas le refus des autres et du monde. Au contraire, elle invite à
s’ouvrir à l’extérieur, au monde et aux autres, mais en les vivant de
l’intérieur, avec toute la profondeur, la densité.
IV. Qu’est-ce qui peut nous
aider ?
A.
Accepter
les questions, les doutes, les craintes, les angoisses qui
m’habitent et accepter de les exprimer:
Ils sont signes que je suis un vivant, que je suis pleinement homme, dans la
pleine vitalité qui me constitue et met en œuvre en moi des forces qui luttent
pour la vie et pour que cette vie triomphe! Ces sentiments, ces émotions, ces
mouvements de révolte sont légitimes, inhérents à notre nature humaine….Il
disent que nous sommes des vivants. Il est important, essentiel de les
accueillir ! Ne disons pas trop vite : ce n’est rien, tout va
bien….Ne disons pas trop vite : il faut accepter !…..Ne disons pas
trop vite : il y a Dieu ! Dieu
n’est pas un pansement – Si Dieu est le Dieu de la vie Il n’y a d’autre chemin
que ce qui fait vivre. Sans vouloir pervertir ou manipuler, j’ai toutefois,
comme psychologue et comme chrétienne, envie de ré exprimer cette conviction
qui est aussi ma foi: Parce qu’il n’y a pas de vie sans Parole,
« Dire » est un chemin essentiel.
B.
Apprendre
à dire : Dire « ce qui est », et que « ce qui est » soit reconnu, est un
besoin fondamental. Pas seulement pour des victimes de traumatismes,
d’accidents graves, mais pour chacun de nous. Dire, c’est entrer en contact
avec ce que nous sommes et le manifester.
Chacun dans et par notre
ministère a fait l’expérience d'être celui qui accueille et qui écoute.
Mais moi aussi, parce que je suis un frère en
humanité, j’ai besoin que ma parole soit entendue, accueillie, écoutée, prise
en compte….. Mais nous le savons, souvent, les exigences du sacerdoce, la
réalité de nos vies, la nature de nos charges, les distances, le nombre
décroissant de prêtres ne favorisent pas l’existence de lieux de parole, et que
l’absence de lieux pour dire dans votre
ministère est souvent un manque et source de souffrance. Cependant, il est
important malgré cette réalité de réaffirmer combien nous avons tous besoin de
dire, pour faire la différence entre nous et l’évènement, pour ne pas être
submergés. Dire met les choses à leur
place, permet d'élaborer, de mieux comprendre, de moins nous laisser emporter
par notre imagination. Dire, c’est dépasser la division intérieure. En disant,
je reconnais que je ne peux pas tout, que je suis limité, que j’ai besoin de
l’autre. Dire, c’est donner de la consistance à ce qui nous habite. Nous
pouvons ne pas dire parce qu’il n’y a personne pour nous écouter.
Nous pouvons ne pas dire parce que nous avons pris
l’habitude d’être celui qui écoute. Si
la souffrance n’est pas dite, rien ne vient l’apaiser. Elle peut alors devenir
folle et tuer. L’important n’est pas que l’autre le comprenne, mais qu’il en
soit le témoin. Dire est chemin. Qu’on soit bavard ou non, on n’a jamais fini
d’apprendre à dire. Dire est, je crois,
chemin de simplification, de vérité, chemin vers la Source. Il est donc
essentiel de ne pas se résigner devant le manque, mais de pouvoir favoriser
et utiliser ces lieux de révision de vie, d’équipe fraternelle, de groupe de spiritualité, d’essayer aussi de
raviver tout ce qui peut tisser des liens, réactiver des réseaux : parfois
,vous avez des amis de bien longue date….Oui, attention au repli sur soi et à
la perte de communication.
C.
Préparer
ma retraite. Et c'est bien le thème d aujourd'hui. A la fois
marquer le passage, le moment du « départ », de la mise à la
retraite, afin que ce changement de statut soit marqué pour moi, par moi, et
pour les autres. Nous sommes des hommes
et des femmes qui ont besoin de signes.
C’est tout le sens des sacrements. Et c’est probablement un témoignage
de foi en cette réalité que je peux exprimer en décidant de marquer le passage
à la retraite. Il y a autant de manières
que de personnes et de personnalités ! Mais aussi préparer comment je
souhaite vivre le temps de la retraite, tel que je l’imagine, avec la réalité
des aptitudes que je pense avoir alors. (Pas si simple quand on sait que depuis
des années vous avez eu l’habitude de mettre en place des projets pour les
autres, d’aider les personnes à faire naître et rejoindre leur vrai désir….mais
que vous avez été au service d’une institution, qui d’une certaine façon vous a
déchargés de cette préoccupation (voire « interdit ») de tout projet personnel… On peut espérer que
dans la formation des jeunes prêtres, cette dimension humaine est davantage et
autrement présente… Peut-être aurais-je
envie, vais-je pouvoir consacrer plus de temps à tout ce que j’avais mis de
coté par manque de temps ou excès d’investissements (quand je serai a la retraite,
je m’occuperai de ma famille, de mes neveux, petits neveux etc). Il y aura
aussi la question du lieu. Et dans chacune de ces réflexions, j’aurais à
accueillir, en vérité, à la fois mon désir profond, mais aussi ce que je suis,
avec mes limites, mes craintes, mes angoisses….avec réalisme, en essayant de
m’accueillir avec tendresse et douceur.
D.
M’aimer
et me laisser aimer :
Toute ma vie de prêtre a été consacrée au Seigneur,
et pour Lui aux autres, à essayer d’aimer comme Lui. Il me semble que je suis invité aussi à être
plus attentif à prendre soin de moi, à entrer dans un temps d’amour pour
moi-même, de tendresse pour moi-même, de bienveillance, de compassion. Il est
temps, il est plus que temps….mais il est encore temps ! C’est aujourd’hui
le temps où Dieu fait grâce. Quelque
fois, et peut être trop souvent, être
"envoyé" "missionné" pour aimer l’autre, pour servir
l’autre, a pu être un alibi pour ne pas suffisamment m’aimer moi-même. Peut-être parce que je n’ai pas suffisamment
fait l’expérience d’être aimé…mais aujourd’hui, je suis invité à entrer dans ce
regard d’amour sur moi, ce regard d’amour infini que le Seigneur pose sur
chacun et que si souvent j’ai posé sur les visages que je rencontrais pour
favoriser leur rencontre avec Lui.
E.
Accepter
de vivre l’instant présent,
dans cette conscience que c’est là, seul, que Dieu se révèle et se
donne ! Reprendre conscience que si
je n’exerce plus de grandes responsabilités, je suis invité à continuer à
exercer mes responsabilités et des responsabilités dans de nombreux domaines,
non seulement en tant qu’homme, mais en tant que prêtre. Car je ne suis pas relevé de la
responsabilité de ma vie, de mon baptême, de ma vocation et de mon
sacerdoce ! C’est cela qu’en psychologie on appelle le consentement au
réel…et qui est le combat de toute une vie, de toute la vie….pour la vivre en
plénitude…. Aujourd’hui encore, j’ai à inventer, à créer, à être pleinement
vivant ! Je ne fais plus de projets, mais j’accueille le moment présent,
pleinement. Et dans cet accueil, le
moment présent me déplace, m’entraine dans sa dynamique et fait de moi un
vivant.
V. Un passage à vivre : une
Pâque avec le Christ, fondés en la foi en la résurrection !
A.
La
retraite est une étape de vie, un passage. Or, nous le savons,
vous en avez une expérience encore plus longue que la mienne, tout passage est
une Pâque, et toute Pâque avant de mener à la résurrection est passage par une mort. Découvrir le don
de vie qui nous est fait dans cette expérience ne peut se faire sans accepter
la traversée. Heureux sommes nous d’avoir la foi, heureux sommes nous de croire
que tout passage est source de vie, même si , comme pour d'autres, nous ne
savons pas comment cela se fera.
B.
C’est
donc un deuil, des deuils
à faire, comme pour toutes les expériences de mort que nous avons déjà vécues,
traversées, et accompagnées probablement si souvent….Oui, la perte nous met en
deuil. Il se manifestera différemment selon chaque personne, selon chaque
histoire et chaque expérience. On peut le ressentir plus ou moins, l’exprimer
plus ou moins….mais quel que soit ce que j’en perçois, dans tout passage, il
y a le choc de la rupture et de la
perte, il y a la douleur et la souffrance. Il y a le chagrin, la révolte ou la colère,
l'anxiété ou l'angoisse, la tristesse, parfois les larmes. Puis il y a peu à peu l’acceptation
d’une réalité qu’on est impuissant à changer, acceptation qui nous sort
d’une position de subir et nous redonne prise sur notre vie ! Nous pouvons
réinvestir notre vie et faire de nouveaux projets. Le deuil est une capacité
d’adaptation de l’être à une situation de perte qui bouleverse notre équilibre
et notre environnement affectif, social, ….Ce deuil est donc un processus
d’adaptation qui est au service de la vie, afin qu’elle puisse renaître. Il
entraîne une dépression, mouvement naturel,
– puisqu’en réaction à un évènement –qui permet de se protéger.
Mais il arrive que ce mouvement d’adaptation ne
suffise pas à nous permettre de reprendre notre équilibre…. Il sera important
d’être attentifs à l’intensité de la souffrance vécue et surtout la durée. Un deuil est un processus
en mouvement, qui évolue. Si on se sent dans un état qui demeure, qui semble
stagner, cela est probablement le signe qu’on est dans une situation où on a
besoin d’être aidé parce que le processus de vie ne parvient pas à reprendre
ses droits. En raison de mon histoire, de la manière dont l’évènement que je
vis actuellement vient résonner sur telle ou telle défense, je peux avoir
besoin d’une écoute spécialisée….et/ou peut-être suis-je sans le savoir, passé
d’une dépression « réactionnelle », à une dépression –maladie.
(J’ai alors besoin d’un
traitement contre la dépression. Le symptôme caractéristique de cet état est Il
y a aussi le « manque d’envie » indéfinissable. Cela peut-être aussi
un sentiment de profonde dépréciation, une vision très pessimiste de l'avenir,
une faible estime de soi mais aussi des signes comme la perte de poids, d
appétit, un changement d’humeur, l’irritabilité, l'insomnie… Cela peut aussi
être, à l’inverse, l’impossibilité de rester inactif. En tous les cas, il se produit
des changements qui font que je ne me reconnais pas ou les autres ne me
reconnaissent pas")
EN CONCLUSION :
En vérité, il n’y a pas de retraite pour Dieu, ni
pour la vie avec Lui, ni pour le service des frères, et chaque âge de la vie
est un temps pour la grâce et pour la
mission. De chaque heure de notre vie, la foi nous permet de dire : « voici maintenant le temps
favorable, voici maintenant le jour du salut » Is 49,8.
L’appel à être apôtre, disciple, est partie
intégrante de notre identité chrétienne et de mon identité de prêtre. Dieu ne
cesse de nous redire : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous
envoie » Jn20, 21.
A la retraite, nous laisserons des tâches
entreprises, passé à d’autres le témoin. Il y aura une expérience de désappropriation, de dépossession de nous-mêmes qui nous
allègera. Mais les lieux de nos chantiers, celles et ceux que nous y avons
connus, croisés, accompagnés pour un temps, sont dans notre mémoire vive, même
si parfois j’ai dû partir et être témoin de ce que la charge ne serait pas
reprise et que je n’ai pas de visibilité sur ce qu’il adviendra de ce que j’ai
contribué à construire, à mettre en place… Et cette mémoire, contrairement à ce
que l’on dit et croit trop souvent, globalement, ne s’use, ni ne s’efface, et
notre cœur s’agrandit.
Nous serons disponibles pour d’autres formes de
service : un accueil, une écoute, un échange, une autre présence, un autre
accompagnement, peut-être plus disponibles, une autre manière de célébrer les
sacrements, de porter le souci de la communion et du service. Une action, qui en fonction de ce que nous
sommes, ne sera plus habité par la fougue de la jeunesse, mais par une certaine
sagesse, paix, douceur qui témoignent autrement de cet Amour qui veut se dire à
tout homme, le plus petit, le plus pauvre, le plus vulnérable. Modestement, faiblement,
lentement, avec fragilité…. Nous voilà peut-être porteurs, autrement, de valeurs que nous avons voulu faire
découvrir et prendre en compte dans notre société. En elles, nous apprenons,
renouvelés, où se situe notre véritable mission : du côté de l’être et non
du faire, de l’être avec le Christ, dans le Christ.
Alors, confiance. Croyons que
« heureux… »
Pouvons nous être de ce nouveau temps qui
s’annonce.
N’ayons pas peur de l’accueillir, confiants,
toujours davantage, dans la vérité de notre être, dans la richesse de nos
expériences, dans la lucidité sur le
chemin qui se fait en nous…..nous pouvons réentendre que le temps de la
retraite est un temps où Dieu fait « toutes choses belles »
(qo3, 11). Il les fera pour chacun d’entre nous si nous acceptons de Le laisser
faire son chemin en notre vie.
Chaque jour est un don, et
la retraite est un temps qui nous est donné pour plus profondément encore, en faire le temps de Dieu qui
nous invite à
être
jusqu’au bout, hommes et prêtres que nous sommes, des vivants.
Caroline Dry
Psychologue
Clinicienne
Hôpital
Bichat Claude Bernard - Paris
Psychothérapeute
–
Hauts de Seine
Questions
et convictions:
Elie. Une chance de pouvoir garder des relations qui nous ont fait
vivre et nourri…
Importance d’une équipe de prêtre Qui reconnaisse la place du prêtre
aîné
Quel comportement envers des
prêtres curés plus jeunes et surchargés ? Quel engagement garder pour
être heureux ? (Nous
sommes invités aujourd’hui comme avant, à voir comment cela est bon, est juste
pour moi : comment je prends soin de moi ? = Je suis responsable de
« je »… apprendre à dire « non » reste difficile !
Gabriel : rester
sur place, aller ailleurs ?
Rester au
presbytère identifié à une fonction, est-ce sain?
Facultés intellectuelles sauves… Prêtre jusqu’au bout, même sans responsabilités
Participation équipe et susceptibilité des égo
M.W. Importance de l’environnement humain.
Les réseaux…
qui peuvent disparaitre. Comment gérer ? (La multiplicité des relations
peut cacher certaines relations plus importantes… occultées par la nécessaire
disponibilité)
La relation entre
générations différentes ? Comment ?
La retraite : occasion de redire nos fondements
Michel B : retraité mais on ne peut rester seul. Liens avec
d’autres, avec l’église du lieu. Comment notre état peut-il être attirant pour
des plus jeunes. Comment témoigner.
Jacques : convivialité dans les repas ; les équipes de fraternité.
Pouvoir se fixer rendez-vous au lieu où il y aurait eucharistie ? lieu de
parole ???
La retraite des 30 jours, des jésuites… prendre le temps de voir ce
qui nous a formé, nourri
Avoir des encouragements pour être poussés dans ce que l’on vit.
J’aurais aimé qu’on me dise que j’ai été baptisé, à vie ? prêtre
a vie, mais avec quel peuple ?
Pierre T. Vivre le présent, le temps réel.
Je ne peux pas partir !
Nos communautés
après nous : comment échapper à cette question ?
René. Accepter
les questions qui nous habitent .
Moyens qu’on se donne… attentes et pistes
>>>> 15h
Atelier 1 - Prendre soin de soi
est un réflexe naturel
Changement de rythme… faire des choses que l’on aime..
Prendre son temps. Participer activités vie civile
Faire des activités physiques : marcher… jardiner
Accueillir, être accueilli, écouter.. Prendre soin seul ou avec les
autres.
Le dimanche, il est difficile de n’avoir rien à faire. Messe à la
télé ?? (célébrer ou présent avec
les participants)
Savoir s’imposer des choses, se donner des impératifs, ne pas se
laisser aller
Atelier 2
Quel type de ministère envisager ?
J’ai décidé… je reste disponible à l’évêque… Possibilité de plus
s’engager dans son charisme… à préciser. Possibilité de plus grande proximité
Comment faire profiter d’une expérience accumulée depuis de nombreuses
années ? ?comment rester libre,
se savoir pleinement responsable tout en maintenant le lien avec l’évêque.
Eléments pas toujours compatibles.
Chercher un lieu où je
puisse advenir, lieu de réflexion (et) spirituel.
Atelier 3 Le temps libéré pour
quoi faire ?
Choisir des choses en continuité avec les engagements de la vie
pastorale (antérieure).
Situation imposée ? Vie fraternelle ; relations humaines
vécues avec plus de temps.
Demande : on avait choisi, mais on a besoin de qq’un devant qui
exprimer ;;; pour faire le tri entre les besoins ? les possibles, les
possibilités.
A prendre en compte :
La violence d’être en stade de dépendance qui me renvoie en permanence à
qqchose psychiquement insupportable.
4 Le lieu
d’habitation
lieu de refuge, de sécurité, critères
confort, adapté, non isolant, en lien avec un ministère… qui donne du
sens.
Nécessité que le prêtre soit
acteur de sa décision, qu’il y soit réfléchi en amont…
Le lieu qui est un chez soi. Les
béguinages… qui associent divers besoins
5 Lâcher prise et confiance
Difficultés et souci de « qu’est-ce qui reste après ? »
Je ne veux pas abandonner la communauté… Mais aussi ne pas avoir à refaire ce
qu’on a abandonné (ex. funérailles).
Je ne suis plus curé, mais prêtre accompagnateur… c’est-à-dire assumer
un certain rôle. Cà irait mieux si je savais ce que le diocèse apporterait
comme continuité
Chouias psy :
instinctivement nous cherchons ce qui nous fait plaisir, est confortable, va
nous mettre en équilibre Quand je me prépare à qqchose qui va me faire
souffrir, je vais chercher ce qui va apporter sécurité et sens aux choses… Au
moment de quitter, besoin psy d’aller donner du sens d’autant plus, pour
m’aider à vivre (ex. Je ne peux partir que si je suis rassuré sur le devenir de
ce que je quitte… dimensions inconscientes ???°
Lâcher prise ;
une part vient de moi, une part ne dépend pas de moi. Je peux décider de
quitter ma fonction… mais il ne dépend pas de moi de la suite, même si je
prépare. Il me faut intervenir dans ce lâcher prise en décidant que ce n’est
plus ma place.
>>>Le fait d’un
infarctus (autre expérience que la retraite) fait apparaître qu’on laisse
derrière soi beaucoup d’inachevé, s’en remettre au Seigneur… se soucier de la
suite, mais aussi du devenir de son âme, qui est au moins aussi important.
JC V. Prêtre toujours… accueilli
en tant que prêtre, à ce titre-là, identité reconnue (non comme fonction) est
occasion d’action de grâce.
La question du prêtre ainé
et du prêtre-curé, responsable. C’est la question du pouvoir et du
hors-la-loi. Si je rends un service comme
prêtre (donc dans ma fonction de p. ) sur un territoire où il y a un
p.responsable, c’est de mon devoir
(non-optionnel) de rendre compte à la personne en responsabilité. Quelle
perte de richesse et d’occasion si on ne communique pas ce vécu. Pour le curé
ce n’est pas optionnel d’aller demander à x,y,z de rendre compte, de partager
comment çà se passe.
Les propositions concrètes
Se dire que c’est un temps où préparer sa future mort
Faut-il faire une assurance obsèques ? un testament ?
Projet retraite… à chacun, si possible avec un vis-à-vis. Sr le rendre compte : Bien situer les laïcs
et la confiance envers eux (entre eux et nous)
Prêtres et solitude.
Célébration seul ? y a-t-il des directives ? (c’est lié aussi aux
ressources du prêtre, les honoraires ou l’indemnité de messe non dite).
Vivre c’est avoir des projets ! Comment les exprimer et les
mettre en application, pour le monde dans lequel on est (qui regarde le prêtre…
mais aussi dans un monde qui n’est plus chrétien). Je suis prêtre et pleinement,
mais je ne suis pas que prêtre…
Jean-Claude,
conclusions
Avez-vous perdu votre temps ?
Véritable liberté de parole, qui mérite un prolongement.
Cibler des points pour des échanges ultérieurs
Sensibiliser au max sur la question du vieillissement des prêtres.